Les experts estiment que 50 % des tableaux circulant sur le marché sont des faux. Voici l’histoire de cinq maîtres de la contrefaçon.
Les premiers faux remontent à l'Empire romain, lorsque l'art grec était à la mode et que des sculptures grecques étaient vendues à de riches patriciens. Au Moyen Âge, les artistes réalisaient de fausses reliques pour les proposer à des établissements religieux, tandis que de faux documents historiques étaient produits, parfois dans des grands ateliers de copie, avec l'espoir de les faire valider par une autorité (parfois avec succès). Selon l’historien Bernard Guenée, « la plus grande faiblesse des spécialistes d’alors, ce fut l’ignorance des autres. »
Et si autrefois, certains artistes pouvaient être applaudis pour avoir reproduit l’œuvre d’un peintre ou d’un sculpteur célèbre, rendant ainsi hommage à son style, les faussaires d’aujourd’hui, dont l’intention n’est pas d’imiter mais de tromper, sont considérés comme les plus grands escrocs de tous les temps. Voici les cinq faussaires d'art les plus connus du monde l’art.
5. Han van Meegeren
Beaucoup considèrent Han van Meegeren (1889-1947) comme le faussaire le plus populaire du XXe siècle. Cet artiste néerlandais s'est spécialisé dans la création de « nouveaux » Johannes Vermeer et Pieter de Hooch. Plus de six ans lui ont été nécessaires pour perfectionner son utilisation des matériaux ainsi que la technique des peintres. Il a même été jusqu’à acheter des toiles authentiques du XVIIe siècle pour créer ses contrefaçons. Ses travaux les plus célèbres sont sans doute ses œuvres « de Vermeer » inspirées par Le Caravage, en particulier par Le Souper à Emmaüs.
Mais comment les spécialistes de l'art ont-ils été dupés si facilement dans les années 1930 ? Van Meergeren a demandé au Dr Abraham Bredius, un expert respecté qu’il avait réussi à leurrer, d’authentifier son travail. L’œuvre Le souper à Emmaüs a été achetée par la Société Rembrandt en 1937 pour 520 000 florins (environ 4,7 millions d’euros aujourd'hui) et donnée au Musée Boijmans Van Beuningen à Rotterdam, où elle et trois autres contrefaçons de Vermeer existent encore aujourd'hui.
Van Meegeren est devenu tristement célèbre grâce à la vente de l’un de ses Vermeer, Le Christ et la femme adultère, au Reichsmarschall nazi et main droite d'Adolf Hitler, Hermann Göring. Ce dernier a échangé 137 peintures de sa collection personnelle pour obtenir la toile, qu’il croyait authentique. En mai 1945, les forces alliées ont découvert le tableau dans une mine de sel, que Göring utilisait pour cacher ses effets. Pensant d’abord qu’il s'agissait d'un véritable Vermeer, ils ont retracé sa provenance et découvert la supercherie de Van Meegeren, qui a été arrêté pour avoir aidé et encouragé l'ennemi. Il est décédé d'une crise cardiaque au cours du procès.
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4. Tony Tetro
Le faussaire américain Tony Tetro (né en 1950) a fait beaucoup de bruit dans les années 1970 et 1980 avec ses contrefaçons imitant non seulement le style des grands maîtres, mais aussi celui des peintres de l’après-guerre. Ses œuvres ont emprunté le coup de pinceau d’artistes aussi variés que Rembrandt, Joan Miró, Marc Chagall, Salvador Dalí ou encore Norman Rockwell. Tetro n’a jamais étudié l’art, il a affirmé qu’il aimait simplement peindre et copier des œuvres depuis ses débuts.
Tetro a déclaré dans une interview : « Un jour j'ai empoigné un livre intitulé “Fake”, je feuilletais les pages et j'ai pensé “je peux faire ça”, alors je l'ai fait ». Tetro s’est documenté sur les matériaux utilisés par les maîtres et sur l’impact que le temps pouvait avoir sur l’apparence d’une œuvre ancienne. Il s’est ensuite rendu dans une petite maison de ventes californienne pour y présenter un dessin d'Amedeo Modigliani. Le propriétaire, qui savait que c'était un faux, lui a acheté pour 1 600 dollars et l'a revendu pour beaucoup, beaucoup plus.
Tetro a collaboré avec la maison de ventes à plusieurs reprises, allant voir occasionnellement des galeries d’art et autres marchands pour offrir ses œuvres. Selon lui, ils savaient tous qu’il s’agissait de contrefaçons, mais les vendaient tout de même à des clients crédules qui « voulaient simplement quelque chose pour aller avec à leur tapis ». Après avoir profité d’un style de vie luxueux pendant dix ans, Tetro a été démasqué en 1988 par l'artiste Hiro Yamagata, qui a aperçu une de ses propres œuvres, un faux, lors d’une vente. Au cours du procès, Tetro a perdu toute sa fortune mais s'en est plutôt bien sorti. Il été condamné à 200 heures de travaux d’intérêt général, pendant lesquelles il a peint une fresque, et n'a passé qu'un an en prison.
3. Wolfgang et Helene Beltracchi
Wolfgang Beltracchi (né en 1951) reste, dans le monde de la contrefaçon, l’homme qui a trompé tout le monde et gagné plus de 20 à 50 millions de dollars grâce à ses faux. Le faussaire allemand et sa femme, Hélène, ne se sont pas contentés de créer des œuvres d’art : ils ont inventé l’histoire de chaque œuvre qu'ils ont vendue, se sont mis en scènes dans des photographies et forgé des lettres anciennes. Au lieu de copier des œuvres existantes, Beltracchi a produit des tableaux originaux dans le style d'artistes tels que Max Ernst, Heinrich Campendonk, Max Pechstein et Fernand Léger. Aujourd'hui encore, les experts sont déconcertés par les détails auxquels les Beltracchi ont pensé lorsqu’ils offraient leurs contrefaçons.
Le plus fascinant dans tout cela, c’est que le couple a réussi à tromper l'homme qui était considéré comme l'expert absolu d'Ernst, Werner Spies. Invité chez les Beltracchi pour examiner une peinture « de la main d’Ernst », Spies serait entré dans la chambre où elle était suspendue et aurait confirmé, rien qu’en étant sur le seuil, qu’elle était réelle. Selon Hélène, l’expert aurait même déclaré en voyant le faux que « c’était la plus belle œuvre que Max Ernst ait jamais peinte. »
Le couple a été arrêté en 2008, après l’analyse d’un tableau vendu comme étant de la main de Heinrich Campendonk. Dans Red Picture with Horses, les experts ont découvert un pigment, le blanc de titane, qui n'existait pas dans les peintures en 1914. Les Beltracchi ont été condamnés à quatre et trois ans de prison et ont dû verser de nombreuses compensations.
Encore aujourd’hui, on estime que plus de 200 peintures de Woflgang sont toujours conservées dans des institutions et des collections privées, ou circulent sur le marché de l'art. Lors de son procès, le faussaire n'a avoué avoir produit que quatorze faux. Son histoire a fait l'objet d'un documentaire, Beltracchi: The Art of Forgery, qui n’a fait qu’ajouter à sa notoriété. Certains pensent qu'il empoche des millions avec ses propres œuvres d'art.
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2. La famille Greenhalgh
Chez les Greenhalgh, la contrefaçon est une affaire de famille. Pendant dix-sept ans, l'artiste britannique Shaun Greenhalgh (né en 1960) a vendu des faux à des musées et des galeries du monde entier avec l'aide de ses parents et de son frère.
La « carrière » de Greenhalgh dans la contrefaçon a commencé alors qu'il n'avait que treize ans et vendait des poteries sur les marchés aux puces, en affirmant qu'il s'agissait d'antiquités. Il a ensuite travaillé pour un marchand d’art connu sous le seul nom de « Tom », pour lequel il créait des copies. Une dispute a mis fin à leur collaboration et Greenhalgh a commencé à travailler seul. Après s’être perfectionné en peinture, il a appris à forger la provenance d'une œuvre d'art. Il a déclaré que « peu importe le nombre d'erreurs, [les marchands] étaient toujours époustouflés par la provenance. Souvent, ils regardaient à peine le tableau. »
La petite entreprise familiale a débuté lorsque ses parents ont commencé à approcher des clients potentiels, tandis que son frère a pris en charge l’aspect financier des opérations. Cependant, après avoir réussi à vendre la statue Amara Princess au musée de Bolton pour 500 000 euros, la famille est devenue quelque peu négligente, proposant des reliefs assyriens « de la même provenance », ce que le British Museum souhaitait acquérir. L’institution a néanmoins trouvé des anomalies et s’est empressé d’en informer l'Unité des arts et des antiquités de Scotland Yard, qui a arrêté la famille.
Pendant sa peine d’emprisonnement, Shaun Greenhalgh a écrit un mémoire intitulé A Forger's Tale, dans lequel il donne son point de vue sur cette incroyable histoire et prétend également être l'artiste derrière l'œuvre La Bella Principessa, attribuée à Léonard de Vinci et conservée en Suisse.
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1. Tom Keating
L'Anglais Tom Keating (1917-1984) est peut-être l'un des seuls faussaires à ne pas avoir créé de faux pour s’enrichir, mais pour protester. Il était fermement convaincu que le monde de l'art était rempli de « critiques et de marchands coupables de se remplir les poches au détriment des collectionneurs naïfs et des artistes sans le sous. »
Issu d'un milieu extrêmement pauvre, Keating sympathisait avec les artistes qui sont morts dans la misère. Ses faux étaient inspirés d'artistes tels que Rembrandt, Edgar Degas et Modigliani. Le faussaire a étudié à la Goldsmith University avant d’y enseigner, et y a également rencontré sa femme Jane. Keating souhaitait simplement prouver à quel point le monde de l'art était défectueux, laissant des « bombes à retardement » dans ses tableaux, de petits indices qui seraient détectables par les experts s'ils décidaient d’en examiner l'authenticité.
Il n'a été découvert qu'en 1970, lorsque Geraldine Norman a envoyé treize œuvres attribuées à Samuel Palmer à un laboratoire pour une analyse. Les tests ont conclu qu'ils étaient tous des faux. C’est le frère de Jane qui a tout avoué à Norman, menant à l’arrestation de Keating et Jane. Cette dernière a promis de témoigner contre son mari après avoir plaidé coupable, mais toutes les charges ont été abandonnées en raison de la très mauvaise santé du peintre. Après sa mort, la cote de Keating a considérablement augmenté et ses œuvres sont encore très populaires aux enchères. On pense qu'environ 2 000 de ses faux circulent sur le marché.
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Article par Sophie Bubmann