Jo, la femme derrière la carrière d’Edward Hopper 

Rien que pouvait prédire que le mariage entre les deux artistes marquerait le début d’une relation aussi tumultueuse que passionnée, qui aura conduit, si ce n’est à l’avènement de la carrière d’Hopper, à la perte totale du statut d’artiste de Josephine. Bien souvent limitée au simple rôle de « muse », Jo a sacrifié bien plus que quelques heures de son temps pour lui servir de modèle. À commencer par son propre style plastique…

Edward Hopper, Morning Sun, 1952, © Columbus Museum of Art, Columbus, OH, US
Edward Hopper, Morning Sun, 1952, © Columbus Museum of Art, Columbus, OH, US

Les deux plasticiens se rencontrent pour la première fois dans les années 1910, mais leur relation ne débute qu’en 1923, lors d’une retraite artistique dans le Massachussetts. Ils célèbrent leur union un an plus tard (Josephine a alors 41 ans), et resteront ensemble jusqu’au décès d’Edward Hopper en 1967. Les écrits de Josephine, qu’elle a tenu pendant la majeur partie de sa vie (aujourd’hui en possession de l’historien de l’art Gail Levin), révèlent une relation troublée, rythmée de disputes, et parfois même de violences physiques réciproques. 

Robert Henri, « The Art Student » (détail), 1906 portrait de Josephine Nivison à 22 ans, image via Wikipedia
Robert Henri, « The Art Student » (détail), 1906 portrait de Josephine Nivison à 22 ans, image via Wikipedia

Pendant les deux-tiers de sa vie, Edward Hopper a vécu dans un studio vétuste, sans frigo ni toilettes, qui donnait sur Washington Square à New-York. Malgré quelques voyages dans le Massachussetts, le Maine, ou en Amérique du sud, les deux artistes sont restés confinés entre les quatre murs du petit studio pendant trois ans consécutifs. Cette situation précaire, difficile pour la santé morale d’un couple, aurait mené à des instants explosifs et des actes de violence entre les deux époux. Dans son journal, Jo a notamment relaté qu’elle l’avait « griffé, mordu jusqu’au sang », et qu’il l’avait « attachée, giflée, et lui avait tapé la tête contre une étagère ». 

Les hématomes et insultes ne sont pourtant jamais venus à bout de leur union, bien que chacun eut été libre de boucler ses valises et de claquer la porte. Malgré ces gestes discutables, Jo et Edward ont déclaré avoir besoin l’un de l’autre. 

Edward Hopper, « Jo Painting », 1936, image ©Whitney Museum of American Art
Edward Hopper, « Jo Painting », 1936, image ©Whitney Museum of American Art

La carrière d’artiste de Josephine a débuté 16 ans avant sa rencontre avec Hopper. Outre ses dessins vendus au New-York Tribune, Evening Post et au Chicago Herald Examiner, ses œuvres étaient exposées aux côtés des grands, tels que Man Ray, Picasso ou Modigliani. Son art « d’avant Hopper » comporte des huiles fauvistes colorées, qui selon l’auteure Elizabeth Thompson Colleary, étaient l’expression même de sa personnalité vibrante.

L’influence de Jospehine sur la peinture d’Hopper commence dès 1923, lorsqu’il suit son exemple et s’essaie à l’aquarelle de manière plus sérieuse. On retrouve également chez Hopper plusieurs sujets traités préalablement par Jo, comme dans l’aquarelle Shacks, qu’elle exécute en 1923.  

Paysage sans titre de Josephine Hopper, image via The Boston Globe,
Paysage sans titre de Josephine Hopper, image via The Boston Globe,

Au cours des années 1920, elle devient son seul et unique modèle. On retrouve la figure de Jo dans de nombreuses aquarelles, dessins et caricatures, mais dans une seule peinture à l’huile, Jo Painting, de 1936. Malgré leur relation compliquée, elle lui apporte le soutien nécessaire pour poursuivre ses œuvres inachevées, comme Five A.M (1937), et parvient même à trouver les titres de ses œuvres lorsqu’il en est incapable (c’est le cas de Nighthawks). 

En 1924, Josephine participe à une exposition au Brooklyn Museum aux côtés de plusieurs artistes, mais sa peinture est négligée par la critique, au profit de celle de Georgia O’Keeffe et John Singer Sargent. Elle recommande néanmoins la peinture de son mari aux conservateurs du show, qui lui achètent une toile, la deuxième qu'Hopper vend en près de dix ans. Suite à ce gain de visibilité auprès d’acteurs clés de la scène New-Yorkaise, Hopper bénéficie d’une exposition monographique, dans la galerie qui le représentera pour le reste de sa vie. 

Alors qu’Hopper emprunte les couleurs et sujets du travail de sa « muse », devenant un artiste à succès, Josephine copie le style d’Hopper, et perd totalement son identité artistique. Son journal révèle qu’Hopper était loin de soutenir son processus créatif, et qualifie ses compétences de « petit talent plaisant ». On peut se demander si l’impact de leur rencontre était tel que Josephine n’a jamais réussi à retrouver la force picturale de ses œuvres « d’avant Hopper », ou si elle a tout simplement échoué à renouveler son style ?

Edward Hopper, Nighthawks, 1942, huile sur toile, 84 x 152 cm, Art Institute of Chicago, image © VCG Wilson/Corbis via Getty Images
Edward Hopper, Nighthawks, 1942, huile sur toile, 84 x 152 cm, Art Institute of Chicago, image © VCG Wilson/Corbis via Getty Images

Allant de mal en pis, le travail de Josephine essuie les refus des galeristes et se heurte aux avis négatifs des personnalités influentes du monde de l’art, même lorsqu’il est présenté par Hopper, devenu prolifique. 

D’autre part, Jo n’était plus vraiment maître des sujets qu’elle peignait. Hopper lui interdisait de conduire, si bien que les deux artistes se retrouvaient souvent à peindre les mêmes choses. Comme l’a révélé Elizabeth Thompson Colleary, « Jo n’a pas su trouver sa voie en tant qu’artiste lorsqu’ils étaient ensembles ». Hopper endosse une part de responsabilité dans la chute de la carrière de sa femme, mais Jo, quant à elle, n’a pas su prendre le recul nécessaire sur sa propre situation. 

Jo se jette corps et âme dans la carrière de son mari, et insiste pour être l’unique sujet féminin de ses œuvres, allant jusqu’à lui interdire de peindre d’autres femmes. Elle répertorie ses œuvres, en choisit les titres, et s’investit à tel point qu’elle considère le travail d’Hopper comme une collaboration, faisant référence à ses peintures comme « leurs enfants ». Jo dénigre sa propre peinture, dans ses écrits, comme auprès des conservateurs qui lui demandent ce qu’il en est. 

Jo et Edward Hopper, image ©Hopper's Vermont
Jo et Edward Hopper, image ©Hopper's Vermont

Blonde, rousse, nue, vêtue de noir, Josephine est toutes les femmes présentes dans les œuvres d’Hopper, et aucune d’entre elles à la fois.

À la mort d’Hopper, Jo fait don de toutes les œuvres de son mari, ainsi que des siennes, au Whitney Museum of American Art. L’institution se débarrasse de la plupart des toiles de Josephine et depuis sa mort en 1968, n’en a jamais exposé une seule. 

 

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